Les feintes du corps

Correspondance :

Textes : Yvon Bohers.

15 planches - Chantal Tichit - graphites, aquarelle, collage - 2006

Edité en portfolio, disponible à la Galerie T-Room à La Roche Guyon 95 - ou sur demande par email

Passé le bouclier

Chacun peut assister à la métamorphose.

Ce qui semblait trapu, lourd,

débordant de sciures,

confus, se fend,

volatile, délétère

et à peine attaché par des rubans

et des exclamations,

papillotes affolées qui signalent les frontières

entre les hauts le coeur,

petits carrés de cris,

filasses

et les traces d’organes.

Ici battait le sang du monde.

Dedans, dehors.

Alors, à quoi je sers

avec mes dents, ma langue,

mes esquisses de gestes,

je t’embrasse

et puis, non, tu sonnes creux ce soir,

je te laisse filer entre mes interstices,

la colle en moins

et la filasse qui craque.

J’avais promis de refaire tous les noeuds,

voiles défaites,

comme au large,

corsage ouvert.

L’air, la mélasse, les environs qui fluent,

une marée peut-être,

imperceptible pour les autres

habitués à charrier les vêtements,

les linges encore humides de la dernière lessive,

la pluie

sans ses jardins d’odeurs,

la pluie piétonne,

la tête basse,

indifférente à tous les éventrés

qui supplient qu’on les couse.

Plus violent est le cri,

plus lourdes les bâches et tous les câbles

qui pendent à leur basques.

Qui pourrait supporter le ventre

sans la peau,

ventre lesté,

la peur,

la pluie qui provient de partout,

la houle,

les balises bousculées par l’alcool,

le ressac

et son bruit de sac qui se froisse,

les reflets qui craquellent,

l’haleine,

derrière l’haleine, tout un tohu-bohu bavard,

des maisons

et des casiers munis de nasses.

Le crustacé s’agace.

Rendre vie en vitrine,

dépouiller l’oiseau de son fuselage,

ce sera long

comme la nuit peut l’être,

ôter les sabretaches,

les brodequins, les brandebourgs,

les boutons inventés pour éviter le pire,

la cire, la molesquine,

trouver enfin la bourre qui fait le mannequin.

 

 

 

A travers les réseaux

(le cancer est multiple

et mange même les larmes),

le long de toutes ces fausses douceurs,

contre les indications,

les trajets et les signes,

à cet instant précis,

 

parvenir jusqu’à l’aine.

Par ici, l’étal,

pour tenir à distance les yeux bouffis,

le chiffon du plexus en boule dans le main,

les tremblements à naître,

l’embarcation sans amarres,

le tournis

Par ici, la vitrine,

ses crocs, ses cintres,

les viscères ahuris de pendre à découvert,

les saignements du vent,

les bruits dans les artères,

tout un emboutissage des sanglots sans la chair.


La digue du verbe longtemps retenu.

Pattes d’oies des sourires.

Le souffle au plus profond puisé,

la pompe se dérègle

et les membranes ignorent enfin ce qu’elles

contiennent.

Glissement,

ondée soudaine,

le masque se dégrade par l’extase.

Les baisers perdus,

fanfreluches en vrac.

Atelier de couture.

Les tissus avachis.

Son doigt lisant les vergetures,

membres à découper selon les pointillés.

Il est temps qu’elle laisse sa trace

sur tout ce corps désaffecté.

A mi-chemin

entre l’ébullition des nausées

et la boue des talons,

entre la pluie qui monte

et les difficultés,

ce poing planté

et qui, de surgeons en épines,

s’apprivoise et s’attache.

A jeun, l’eau trouble du giron,

la vie au bain-marie,

les bras entre les bras du ventre,

joue à l’écoute

et la paume concave,

frissons dessus, frissons dessous.

Le point vélique

exact

ici, la force de la respiration.

Après ses mines de paresse,

le corps pivote,

frémit

et prend le large.


Le corps debout.

Debout, on est plus lourd,

on sait le poids de chaque organe,

du chagrin qui s’incruste.

Debout, on ne peut pas rester tranquille.

 

 

 

Collision des entrailles,

la confusion des genres

et l’épicentre du sanglot

qui hésite,

bord de faille, blessure,

un peu de rouge à lèvre,

signe pour chacune des balises

D’entamer lentement sa dérive.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le centaure a perdu le sens du manège,

il chevauche ses tripes,

il répète sans cesse ses rêves de vigie :

Jadis,

j’avais du fil à coudre les enfants,

des lisières communes,

des accolades, la nuit,

j’avais moins peur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sens l’espace entre nous,

la fuite,

l’espace, le même et qui grandit,

là notre corps à cru, parfait

a cru,

a pris corps en dépit du bon sens

et parfois on se dit sans limite

et puis a décru

et confisqué l’espace,

son poids accru, il semble,

pourtant sans nous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi laisse t’on sa main dans la glaise

connaître les formes à l’envers,

en créer,

à l’envers.

Parfois, ensuite,

on ose toucher une autre main.

 

 

 

 

 

 

 

Poser une caresse par-dessus l’autre

à plat

puis, transparente, la dernière, peut être.

Le sexe n’écorche même pas le tissu,

les restes d’une rage, en noir,

le tablier empesé par les pleurs

effleure à peine le ventre.

Le garrot,

la colère qui ne s’émiette pas,

les fibres en se figeant s’engrossent

d’amertume.

Et que l’amer est dense !

 

 

 

 

 

 

La houle

et dans ses creux les paumes estropiées.

A trop la retenir

on lie les mains entre elles,

les gestes avec les gerbes

et la respiration vers la buée, vers la glace,

au ventre un catafalque

cousu avec le froid.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Eplucher sous le zest des débris de coutures,

des restes de sommeils.

Plus près si c’est possible,

dans les suçons du sang

qui vient,

qui exagère, bègue et balbutiant,

le sang,

bavard en crue,

dehors,

éblouissant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lente à bouger vers la ceinture de l’eau.

En apnée, la distance dépend de l’agonie des

lèvres.

Sous le plexus

les poches pleines de l’angoisse,

les mains lâchent soudain.

Plus rarement

on suit

des fruits qui ont perdu leurs peaux

et qui glissent vers les abysses.

Planche 15 - Collection particulière