2019

Je suis née sur l'Aubrac,

j'y ai passé mes étés d'enfant,

j'y ai ma famille et j'y suis très attachée.

Certains lieux nous habitent comme nous les habitons même quand nous sommes au loin.

Lorsque j'apprenais l'eau-forte aux Beaux-Arts, les sillons creusés dans le métal, afin d'y retenir l'encre,

déposaient alors, sur mes feuilles, des drailles, clôtures, murets, rochers... :

le graphisme des pâtures d'Aubrac était inscrit en moi. Il fait parti de mes émotions esthétiques profondes.

J'ai encore le souvenir de mon grand-père taillant le granit, creusant des rases, menant le troupeau...

Le besoin d'échanges, l'envie d'ailleurs, d'un univers différents de celui des taiseux que cette terre rude « construit », m'ont conduite vers d'autres émotions, d'autres contours. Il sera toujours question dans mes activités artistiques d'interroger la relation entre les lieux et les corps s'inscrivant dans le paysage social, d'observer comment certains s'y soumettent et comment d'autres s'y affirment.

 

Ce grand-père peu instruit mais curieux et aimant, a contribué à façonner le paysage de mon enfance. Ma grand-mère, ne quittant jamais l'âtre et les pluches, a toujours su m'apporter réconfort sur un sucre trempé d'eau de mélisse.

Tous deux, bien sûr obéissaient aux codes impartis à leur sexe. Sans se poser de question, chacun jouait son rôle, l'un à l'extérieur, l'autre à l'intérieur. Chacun était attentif à l'autre, aux autres, et dans tout les cas, à moi.

Moi, née fille, aimant observer, rêver,

                                    triturer papiers et pinceaux,

                                    chiper au cousin son vélo de course plus rapide et haut perché,

                       peu encline à la soumission,

                       intriguée par l'étonnement que mon comportement suscitait,

                               puis révoltée par le courroux et la violence même, toujours opposés !

J'ai passé une enfance et adolescence sous le signe de la censure, à me cogner contre l'incompréhension, l'intolérance, le mépris, l'arbitraire.

Mes grands-parents furent mon refuge et demeure un soutien. Quand mémé me laissait expérimenter gâteaux et jeux de balle, au risque de ne pouvoir y goûter ou de casser une vitre, pépé me bricolait un chevalet ou m'offrait un ouvrage sur Marie Curie !

Je passais toujours de longs moments dans l'atelier de mon grand-père. A l'établi, autour de l'étau à combattre l'interdit. Aujourd'hui encore je contemple ses boites remplies de poussières, de clous rouillés et autres curiosités à percer.

Ainsi m'est venu le désir de ces trois nouvelles constructions.

Exsurgences

37x40x39 cm

Bois et métaux de récupération, tissus

Une exsurgence en géologie, est la sortie de flux souterrains ayant pour origine une infiltration diffuse des eaux de pluie .

J'ai éprouvé cette métaphore en nommant cette première construction, et jusque dans l'urgence cachée du mot,

et dévoilée pas à pas, clous à vis.

Mécanique des fluides

50x50x53 cm

Bois et métaux de récupération, tissus, papier, aquarelle, mine de plomb

Pulsions, flux et humeurs sans cesse réprimés, méprisés, contrôlés.

Se laissant emporter par l'émotion, les turbulentes cascades se répandent

et je « pisserais moins cette nuit » !

Cette « articulation », je l'ai construite avec mes souvenirs pleins de poussière ; l'eau et la lumière leur ont rendus du baume.

J'ai organisé des canaux, des tenseurs de contraintes et des lieux de perméabilité :

une mécanique de confrontation et connexion des fluides.

Artères souterraines

29x29x30 cm

Bois et métaux de récupération, tissus

Durcir, tendre, inciser, comprimer, déboucher et ...

Libérer enfin les voies souterraines qui irriguent le corps et les voix qui l'enflamment.

Mais parfois les corps flambent et se ramassent !